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Communiqué de Nader Abou Anas réalisé le 18/11/2015 :

C’est toujours une expérience étrange d’entendre parler de soi à la troisième personne, même lorsque l’on a l’habitude de prendre la parole en publique. C’est d’autant plus difficile à intégrer lorsque le portrait monstrueux qui est dressé de vous par certains médias s’éloigne tant de la réalité, de l’image que se font de vous vos proches, vos enfants, vos parents et amis.

Et de l’image que vous espérez projeter de vous-mêmes.

Me voici donc, Nader Abou Anas à la première personne…

En tant que prédicateur, j’accepte l’idée d’être soumis, comme toute personne publique, à l’approbation ou la critique libre des uns et des autres. Mais lorsque cette critique est porteuse de haine, s’exprime par le détournement malhonnête de nos propos et de nos idées, est instrumentalisée pour alimenter la peur et la division parmi nos concitoyens, ce n’est plus l’intégrité de nos seules personnes qui est en jeu, mais la notion même de vivre ensemble.

Etre prédicateur pour une génération connectée sur le web 2.0, c’est s’exprimer en continu, être disponible pour tou-te-s (musulman-e-s comme non-musulman-e-s) répondre à toutes sortes de questions : religieuses, mais aussi sociales et sociétales et éducatives, ayant trait à la vie familiale et à des situations de détresse psychologique, etc…autant de questions pour lesquelles notre bagage d’étudiants en sciences islamiques ne nous préparaient pas toujours, mais auxquelles nous avons dû faire face, par le jaillissement du monde réel, dans nos conférences, dans nos mosquées et sur nos espaces dédiés, sur les réseaux sociaux.

Ce matin, je réponds à une mère de famille en détresse à l’autre bout de la France, ce soir j’essaierai d’apaiser les jeunes d’un quartier populaire faisant face aux injustices sociales de notre temps, demain je devrai m’adresser à l’ensemble des fidèles pour les rassurer, les écouter et les encourager à ne pas céder à la peur, à continuer à œuvrer pour le bien commun, aux côtés de tous nos concitoyens, dans toute leur diversité. Juste après, j’ai rendez-vous avec les voisins et les parents qui ont des soucis avec leurs enfants. Et entre deux, je convaincrai un jeune de ne pas céder aux sirènes de Daesh…
Cet exercice de prédicateur H24 nous expose à de lourdes responsabilités, avec des succès souvent, mais également des erreurs, parfois. Des maladresses, aussi.
Comme n’importe quels êtres humains.
Et comme n’importe quels êtres humains, ce qui nous élève et nous fait avancer, c’est aussi de faire face à ces maladresses, sans détour et sans déni. C’est ce que j’ai fait, au cours des dernières années, en apprenant à traiter des questions familiales et sociétales d’une manière qui soit audible au plus grand nombre.
Parfois, des vidéos tronquées et manipulées ont été produites, pour montrer que je tenais à propos des femmes un discours sexiste.
En vérité, et rétrospectivement, je ferais attention à ce que mes propos ne soit pas sujet à interprétation. L’idée de renforcer les liens du mariage en mettant l’emphase sur l’importance de faire des efforts pour l’autre (dans le cas de l’époux COMME de l’épouse) a été dévoyée de son sens initial dans l’une de ces polémiques. Tout comme l’envie d’expliquer que les arts et les loisirs sont aussi des espaces soumis à une certaine éthique, loin des représentations dégradantes et violences qu’offrent aujourd’hui un nombre de productions audiovisuelles et artistiques, dont nous pensons qu’elles ne sont pas compatibles avec les valeurs qui sont les nôtres.
Depuis, j’ai appris à le nuancer et à le dire, mais soumis à un flot continu de demandes et de sollicitations, appelant le plus souvent des réponses simples et presque binaires, il nous est parfois impossible de développer des discours structurés, nuancés et argumentés.
Quand j’ai deux minutes pour convaincre un jeune de sortir d’une spirale de violence, je n’ai d’autre choix que de lui dresser un tableau simple et dévastateur du basculement que j’essaie de problématiser.
Quand un couple est au bord d’un divorce lourd de conséquence et que l’un et l’autre ne s’écoutent plus, je n’ai d’autre choix, si je souhaite éviter la séparation qu’ils redoutent, que d’utiliser avec autorité les devoirs qu’ils ont l’un envers l’autre, en tant qu’époux.
Fruit de ce travail de prédicateur d’urgence, des milliers de contacts individuels, des centaines de vidéos et de conférences, où l’on trouve de tout, sans filtre de compatibilité avec une opinion politique et médiatique pour le moins crispée dès qu’il s’agit d’aborder des questions liées à l’islam.

C’est ce qui explique que dans l’ensemble de notre travail, les médias et groupuscules qui ont choisi de nous attaquer, ont concentré leurs efforts à découper, décontextualiser, démonter, des phrases qu’il leur était possible de présenter sous un jour polémique. Et fort logiquement, tout téléspectateur ne connaissant pas notre travail par ailleurs sera choqué, inquiété par une vision réductrice, anxiogène et pour tout dire malhonnête de nos efforts.
Car ils n’entendront pas les dizaines de conférences données sur la condamnation de toute forme de violence, les centaines de références au nécessaire respect des droits des femmes et à leur accès à l’éducation, les milliers d’échanges avec des citoyens de toutes origines et de toutes confessions, appelant au dialogue et au rapprochement des uns et des autres.
Ça et toutes les autres choses que j’ai dites et faites et qui, nous disent toutes ces personnes, ont participé à apporter un peu de paix dans leur vie, un peu de sérénité spirituelle, un peu moins de peur et d’injustice, un peu plus d’amour pour leurs proches… et une répulsion profonde pour toute forme de violence.
En tant que prédicateur j’ai, au sein d’une communauté musulmane d’une diversité inouïe, fait le choix d’une compréhension plutôt conservatrice des textes, comme il en a toujours existé dans toutes les religions, des prêtres traditionalistes aux communautés juives orthodoxes.
Je porte occasionnellement des tuniques longues et des couvre-chefs et arbore une barbe fournie, par fidélité à une tradition prophétique.
Est-ce pour ce traditionalisme et cette visibilité devenu si ostentatoire dans le contexte français que je suis aujourd’hui mis à l’index ? Est-ce par délit de proximité vestimentaire avec des groupes violents aux antipodes de nos idées qu’il est aujourd’hui question de me faire taire ?
A vrai dire, il nous est impossible de le dire, tant les discours politiques qui sont tenus aujourd’hui sont devenus inaudibles, visant le plus souvent la confiscation des libertés individuelles de chacun contre une promesse chancelante de sécurité, tristement démentie par nos morts innocents que nous pleurons encore.

Et au lieu de nous rassembler dans la fraternité des citoyens face aux défis et aux grands problèmes de notre temps, c’est la division que l’on sème en pointant du doigt les uns et les autres.

Hélas, les menaces, les attaques médiatiques, les pressions que je subis au quotidien deviennent insupportables.
Elles sont contraires à toutes les valeurs qui nous font aimer notre pays et fondent le socle du vivre-ensemble. Et, pour tout dire, ce processus de marginalisation et de diabolisation des musulmans et de ceux, parmi eux, qui comme moi se risqueraient à signaler une trop ostensible islamité, contribue à nourrir les discours d’antagonisme sur lesquels Daesh se base pour recruter, parmi nos jeunes concitoyens, les plus fragiles et les plus désœuvrés.
A tous ceux qui vivent aujourd’hui dans et par la peur de l’autre, nous disons qu’il n’y a qu’une façon de la surmonter : se tendre la main et dialoguer, avec franchise et sincérité.
Ne nous laissons pas séparer par le terrorisme et l’islamophobie qu’ils instrumentalisent pour se légitimer. Ne laissons pas nos concitoyens musulmans, et parmi eux les éducateurs, les imams et les prédicateurs, comme nous, être les victimes collatérales et silencieuses d’une régression sécuritaire.

Ce serait, par la conquête de nos peurs et la destruction de nos libertés, la plus sinistre victoire de Daesh.

Nader Abou Anas

Fait à Paris le 18/11/2015.

Mohamed Abou Haroun

novembre 17th, 2015

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